carnets de canal
Se faire mener en bateau ? Suivre le cours de l’eau ? Divaguer…
Que vous soyez plutôt tourné imaginaire ou plutôt réalité documentée (les deux, c’est encore mieux !), nous vous offrons un bouquet de témoignages tout au long de l’été recueillis auprès d’une dizaine de personnes qui nous feront partager leurs perceptions.
Artiste, écrivaine, cinéaste, architecte, pêcheur, historien, urbaniste, hydrologue, designer autant d’angles de vue et d’ouïe disponibles sur notre site pour révéler la diversité des richesses et les enjeux du canal de Bourgogne.
Prendre la mesure de cette plénitude, c’est aussi éclairer le devenir du canal en prenant la mesure de ses fragilités : Paysages et biodiversité, itinérance, ressource en eau, tourisme et vitalité locale..
Carnet de Chantal Dugave
Faunocanal I
Cette carte postale sonore – Faunocanal I – est une réminiscence du premier concert pour guitare au Fonocanal qui s’est tenu le 8 juillet 2023. Elle en reprend des transformations ornithologiques, où le rossignol et la grive musicienne y sont transposées pour concert à échelle humaine, la guitare de Loïc Baily étant elle-même entraînée par leurs mélopées.
Fred Voisin
Carte postale sonore - Faunocanal I
Je suis une île étrange aux rives inégales, serrée de forêts, de taillis bleus, de prés inondables. Je suis une île improbable de cent kilomètres, de quelques mètres de large et négligée des humains. Mes frontières sont, d’un côté, une eau vive qui s’écoule dans une vallée ouverte, rivière lente et parfois dangereuse, sinueuse, aimée des vaches et des aulnes. Son eau varie de couleurs selon les saisons, selon le temps. Mon autre rive est occupée par une eau tiède et immobile enserrée par les berges du canal, des talus et des palplanches. Des peupliers s’y reflètent en chantant du bout de leurs feuilles au long pétiole.
Je suis faite d’argile, de moellons, de galets et de vase, je suis une ripisylve intercalée entre deux eaux paradoxales. Vous voyez un lieu d’apparence peu fréquenté, mais une vie diversifiée et invisible bouillonne dans ce ruban oscillant et toujours traversé à la perpendiculaire par des humains aveugles et sourds.
Je suis cette île très habitée par un peuple végétal qui mène sa vie de sève et de chants, où le jaune éclatant du loriot, son air de flûte aérien, habite les frondaisons de ma chevelure. Mes plages et mes rives voient passer les chevreuils qui s’ébrouent après la traversée, des familles de sangliers qui se roulent dans les soues de mes rivages. Des sternes, des grands cormorans, des guêpiers viennent faire le guet dans mon ciel. Des renardes fûtées installent leurs territoires dans mes fourrés, et je sens vibrer mes branches au passage des martins pêcheurs fulgurants.
Je suis une île, je suis un pont, je suis un ciel où passent les balbuzards, je suis une terre grouillante de vie ignorée des hommes, sinon des amoureux, des pêcheurs et des poètes. Je suis dérisoire dans ma largeur, immense dans ma longueur, infinie dans ma hauteur. Je suis le refuge du vivant, entre l’eau vive et l’eau stagnante, je suis là, et personne ne me regarde.
Tous se tournent vers le canal, vers la rivière. qui coulent sur mes rivages.
Entre le canal et la rivière, coule une forêt, des prairies, un monde vivant.
Ladislas De Monge
Chacun connait, par ailleurs, la Mésopotamie, entre le Tigre et l’Euphrate, cette région qui a vu naître une civilisation agricole et urbaine, entre Orient et Occident.
Un rapprochement facétieux et prétentieux diriez-vous ?
Certes, mais de quoi s’agit-il en fait ?
Le Tonnerrois n’est-il pas un territoire de l’eau, partout présente, souvent déroutante ?
En tire-t-il un bénéfice majeur ?
Pas vraiment.
Bien sûr, on pourrait continuer de déplorer les décisions étatiques qui ont mis fin il y a plus de cinquante ans à la richesse locale associée à la voie d’eau navigable. D’autre part, on mesure déjà les effets du changement climatique qui révèle en pointillé des conflits d’accès à la ressource en eau aux multiples usages…
Le Tonnerrois, petite Potamie potentielle, attend l’invention et la mise œuvre d’un scénario fait d’alliances, de convergences en prise avec des enjeux à petite et grande échelle.
Comment attirer talents et sympathie, comment produire de la confiance ?
Un projet robuste exige de la pugnacité, un effort durable, un pari sur les ressources d’intelligence créative fédératrice de multiples acteurs économiques, associatifs, territoriaux.
Attention chantier ( ?)
Jacky Vieux
Avant que la chaleur ne prenne plus de répit,
Avant que plus un bateau ne passe les écluses,
Avant que la dernière éclusière fête sa retraite,
Avant que les vélocyclistes abandonnent.
On l’avait dit aussi aux élu.e.s avant !
Avant les invasions incessantes de moustiques,
Avant la colonisation du canal par le silure,
Avant que les écluses se rouillent
Avant que les éclusiers se meurent,
Avant que les arbres tombent dans l’eau.
Et c’est arrivé, ce matin il est là !
Le cri du héron huppé déchire la pure clarté de l’aube,
Et comme soudain éveillé il trace un S,
Ses paupières se soulèvent lentement sur son iris jaune,
Les lentilles vertes frissonnent de sa présence.
Dans un immense claquement de langue,
Sa gueule s’ouvre et se referme.
La nature se tait, elle écoute dans un étonnement inquiet,
Les sons encore inconnus de cet habitant venu de loin.
L’alligator, lui, prend ses aises dans la boue du canal.
Carine Delanoë-Vieux
Victor Audouze
Jeanne Chiche
La source
Parfois, certains paysages m’inspirent une pensée, quelques mots adaptés, la plupart du temps juste mon œil en lorgnette.
Sensible à la préservation du canal de Bourgogne pour lequel je travaille, mes clichés, s’ils peuvent contribuer à en prendre conscience. Car nous avons tous, un jour ou plus, foulé les chemins du halage, lieu idéal pour la détente, pour de sympathiques rencontres, tout un monde fluvial, bien vivant !
Pour moi, la photo, c’est un bon moyen pour exprimer et partager les émotions que la vie quotidienne au bord de l’eau me procure, dans ce magnifique décor nature.
Au commencement furent les écluses, qui aiguisaient la curiosité de l’enfant que j’étais. Mon grand-père m’y menait et nous attendions le passage des péniches. À l’époque, peu de navigation de plaisance. Émerveillement devant cette ingénierie et la force de l’eau.
À l’adolescence, c’est le temps du vélo et de la liberté avec mon frère et les cousins, l’aubaine de ces chemins plats, parsemés de nids de poule et de petites côtes qui pimentent gentiment l’excursion. Partir à la découverte de baignades secrètes sur l’Armançon et rejoindre Tanlay pour son château et le Centre d’Art qu’il abritait.
Plus tard, élargissement du périmètre d’exploration et retour à l’ingénierie en lien avec l’histoire et la géographie politiques : les Sept écluses à Rogny, le Pont canal de St Flo, le tunnel à Pouilly, l’octroi consenti au département de l’Aube sur la route de Paris entre Tonnerre et Flogny-la-Chapelle…
Le canal est aussi un baromètre. La désola#on des portions fermées lors des dernières sécheresses nous rappelle à la réalité du réchauffement climatique.
Aujourd’hui, le festival de musique de chambre et de création Musiques en Tonnerrois, que nous avons créé, me permet de continuer à suivre et sonder la précieuse ligne de vie du Tonnerrois qu’est le canal.
Sophie Deshaye
Ici.et.la.canal@gmail.com
ici-la-canaldebourgogne.fr