Au fil de l’eau
Devenir de la ressource en eau dans la vallée de l’Armançon ?
Pour le canal de Bourgogne, l’Armançon est un pourvoyeur significatif en eau.
Quel impact attendre du changement climatique sur le bassin de cette rivière qui traverse le Tonnerrois ?
Les études menées par l’Université de Bourgogne (*) à l’horizon 2100 font une première série de constats concernant tout d’abord les précipitations, le débit et l’évapotranspiration :
Pas de changement attendu quant au volume des précipitations mais des pluies plus abondantes en hiver et plus faibles en été.
Le débit moyen semble ne pas être affecté mais là aussi les saisons témoignent de changements : plus d’eau en hiver (+20%) et moins d’eau en été (- 40%). En conséquence les étiages seront plus sévères (40 à 75 jours/an), les périodes de basses eaux commenceront ainsi plus tôt dans l’année et se termineront plus tard.
Durant ces périodes le débit moyen passerait de 3,5m3/s en 2020 à 2,5 m3/s. Il s’agit d’une moyenne, alors que nous connaissons déjà des étiages avec moins de 2m3/s.
Avec la montée des températures déjà engagée depuis 1960 l (+1% à la fin des années 80 et les gains depuis cette période) l’évaporation augmenterait d’environ 20% (+1° en 2040 et 3,5° en 2100, en projection).
Quid de l’impact sur les nappes phréatiques ?
Les chercheurs évaluent de 10 à 20 jours en moins par an pour la recharge des nappes souterraines : des précipitations moindres en été, des étiages plus sévères et des recharges en diminution au printemps et en automne.
Et la qualité de l’eau ?
Avec la chaleur qui augmente, la qualité de l’eau se dégrade : concentration en nitrates et en matières en suspension, oxygène dissous sont les indicateurs permettant une prévision d’un nombre de journées avec une eau de qualité dégradée passant de quelques jours en 2020 à près d’un mois par an (projection à 2060).
Enfin la gestion des stocks de surface ne semble pas constituer la solution universelle : la qualité de l’eau dans les retenues collinaires est dégradée et le changement climatique accentue l’évaporation, sans que cela condamne cette formule en toutes circonstances. Le stockage dans les nappes souterraines et le bon fonctionnement naturel des cours d’eau garantiraient la meilleure gestion de la ressource.
(*) Conférence de Philippe Amiotte – Suchet, présentée lors de Récid’eau 2019 organisé par le syndicat de l’Armançon (SMBVA).
Laboratoire de biogéosciences HYCARRE – Université de Bourgogne.
© Etienne Pelissier
Canal au futur(s)
L’avenir du canal et le paradoxe du tourisme – Petite réflexion au fil de l’eau
« Je hais les voyages et les explorateurs » – Cl. Lévy-Strauss
Et les touristes ?
Considérations sur le tourisme
La situation d’incertitude actuelle, si elle est inédite, ne détourne pas « Ici&Là » des enjeux qu’elle souhaite prendre en charge. Il s’agit seulement d’une accélération temporelle dont l’Histoire est coutumière.
La question qui se pose est triviale : Quel avenir pour le canal ? L’association se pose comme acteur culturel et touristique. La distinction qui est encore faite dans l’imaginaire collectif entre la culture et le tourisme semble se dissoudre dans une seule conception consumériste et rentable du point de vue néo-libéral.
Le tourisme moderne est un phénomène social temporellement situé et probablement fugitif dans notre histoire. Le tourisme idéal, une activité de découvertes et d’explorations, bien éloignée des voyages « d’agréments », motivée par le désir de connaissance et de compréhension du réel, n’existe plus en l’état. La planète a été fouillée dans ses moindres recoins et un lieu sacré comme l’Everest (Chomo Lungma, « Déesse mère des vents») est devenu un vaste dépotoir où des centaines de tonnes de détritus s’accumulent autour des camps de base des touristes grimpeurs.
L’homme « économique » a transformé en assuétude au tout consommé le désir de rencontres et de découvertes, et le touriste en bon petit soldat de l’économie de marché.
Face aux bouleversements en cours, il s’agit d’anticiper les fonctions peut-être essentielles que pourra remplir cette voie d’eau exceptionnelle.
Contribution critique
Il est peu probable que le tourisme puisse perdurer comme un avenir « utile » à cette infrastructure qui lui permettrait de subsister, sinon de façon temporaire. En fait, la période vouée à cet usage ludique est sans doute déjà passée. Le tourisme de masse tel qu’il es pratiqué jusqu’à présent est une vision hors-sol, qui n’intègre pas de considération pour un usage responsable de la biosphère. Le canal ne fait pas exception à cette règle. Nous ne sommes pas dans une pratique populaire mais élitiste du voyage et le coût environnemental reste prohibitif car il s’agit de maintenir cette voie d’eau pour quelques usagers nantis qui louent ou possèdent des bateaux de plaisance. Le coût est porté par la collectivité. Si nous observons avec distance et raison, cet usage doit nous paraître aberrant.
Peut-être finirons-nous par voir le tourisme comme la dérive mercantile de l’itinérance.
« Un voyage s’inscrit simultanément dans l’espace, dans le temps et dans la hiérarchie sociale »
En changeant de pays, nous changeons d’année : certaines régions sont le passé des nôtres, ou leur avenir. Pauvres ici, nous sommes riches et donc puissants là-bas, ce qui rend impossibles « la bonne foi, le sens du contrat, la capacité de s’obliger. » Lévi-Strauss a déjà la claire conscience du prix que notre civilisation fait payer aux autres cultures : « L’ordre et l’harmonie de l’Occident exigent l’élimination d’une masse prodigieuse de sous-produits maléfiques dont la terre est aujourd’hui infectée. Ce que d’abord vous nous montrez, voyages, c’est notre ordure lancée au visage de l’humanité. »
> Extraits de Cl. Levy-Strauss (Tristes Tropiques) commentés par Laurent Jouannaud.
L’enjeu de l’eau
La situation critique que subit depuis plusieurs années la région est de la France en terme de stress hydrique est sans doute ce qui remet le plus en question l’usage futur du canal, sous quelque forme que ce soit.
Il est essentiel d’intégrer dans toutes les réflexions engagées l’alimentation en eau du canal comme un impératif catégorique. Il faut tenir compte des statistiques disponibles : ….pluviométrie, évolution sur un siècle et perspectives (à fournir).
Les systèmes de rétention d’eau (lac du Der, d’Orient, de Marcenay…) ne vont-ils pas servir à un autre usage (irrigation/distribution) ? Le canal peut-il avoir une fonction d’alimentation en eau (irrigation) ?
Ce canal doit redevenir nécessaire, utile et nous devrions nous investir dans une réappropriation fonctionnelle de la voie d’eau au niveau local et régional.
Alternatives
1/ Si les ressources en eau restent disponibles :
Arrêt de la navigation de plaisance, priorité à la navigation nécessaire d’utilité collective.
Usages de navigation « commerciale » : Marchandises, matières premières (pierre, bois, …)
Il découle de cette vision une série de questions subsidiaires : quels gabarits ? quelles navigations ? tractions animales, propulsion électrique ? automatisation des écluses ?
Cela implique un usage différent du temps, à l’envers du « présentisme », de l’immédiateté si contemporaine. Il serait intéressant de chercher dans les archives de VNF la temporalité en usage au 19 ème pour différents trajets. L’usage des maisons éclusières trouverait dans cette perspective une fonction essentielle d’accueil, d’étape, de relais.
2/ Si les ressources en eau disparaissent :
Certaines parties mieux préservées pourront être destinées à la pisciculture (cyprinidés principalement). Dans le prolongement, les écluses pourront être adaptées pour servir de système de nasse.
Les autres sections abandonnées pourraient être transformées en zone de maraîchage. Cultures spécifiques sur terrain alluvionnaire.
Cependant, des analyses détaillées devront être effectuées pour déceler des résidus toxiques dans les boues alluvionnaires. Recherche de pesticides, métaux lourds, autres…
Un autre regard au fil des rives
Autour du canal, il existe une vie à découvrir. Ces espaces habités par des « non-humains » pourraient devenir le terrain d’un changement de perception non pas sur la Nature, mais plutôt dedans. Comment modifier notre considération pour des êtres (des existants, des sois non-humains) qui semblent problématiques ? Comment changer notre regard sur les orties, les guêpes, les corbeaux ?
L’art et ses multiples voies retrouve dans ce débat une fonction essentielle d’anticipation. En cela la création artistique exerce à nouveau sa fonction chamanique qui agit rituellement sur les forces en présence. En appelant l’attention et la perception approfondies des intuitions. En mêlant les connaissances objectives du réel (les sciences) avec l’investigation intuitive, pragmatique, poétique et dégagée des préjugés culturels dogmatiques. Soit l’art, depuis la nuit des temps humains, toujours essentiel. (Cette partie doit faire l’objet d’un développement à postériori).
- © Ladislas – 4 mai 2020
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“Paysages sonores entre canal et méandre”
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