Baigner dans le paysage…

« Quand je suis seul devant un paysage ou un tableau, je suis d’abord frappé de cette beauté qui se trouve prolifiquement donnée là, abondant comme une source. Cet offert est précieux, je le sais et veux m’en saisir. Puis (mais), très tôt, je sens poindre la menace qui est, je crois, de ne pouvoir le retenir (…) Le paysage me renvoie à moi-même comme m’est renvoyée la balle qui frappe le mur : ce paysage s’est « muré ». Peut-on jouir seul – ou jusqu’à quel point ? (…)

A regarder à deux, on n’est pas plus concentré ou meilleur observateur – on l’est moins peut-être ; mais cette observation qui, quand on regarde seul, devient sèche et bientôt stérile, est comme un élément ou comme un bain commun quand on est deux. Regarder à deux fait exactement « baigner » dans le paysage (ou dans le tableau). On ne regarde pas nécessairement la même chose, ni au même instant – ces deux regards ne se doublent pas ; mais justement, cela ouvre du champ ou de l’espacement libérant de la fixation, permettant la circulation : un échange tacitement a lieu, à deux, dans lequel se livre le paysage. C’est-à-dire que, dans cet entre ouvert entre nous, le paysage (le tableau) peut aussi « entrer » (…).

Regarder à deux est nécessairement joyeux, joyeux parce que généreux. Cette beauté devant nous n’est plus muette, retirée, séparée, est non plus seulement devant mais entre, devient parlante, communicante (…). »

François Jullien – « De l’intime » –  Grasset  2013

L’obélisque, monument symbole de l’Antiquité, pour marquer de façon grandiose l’entrée du canal de Bourgogne…

Au début du XIXe siècle, l’Europe occidentale a des désirs de monuments égyptiens. La campagne d’Egypte de Napoléon Bonaparte (1798-1801) a lancé la mode de l’Egyptomanie et Paris et Londres jalousent Rome et ses 12 obélisques.

Une envie que Méhémet Ali, général ottoman à la tête de l’Egypte a bien comprise : en 1829 il décide d’offrir à la France l’obélisque de Louxor pour son aide dans la modernisation du pays. Le canal de Bourgogne sera touché par cette vogue orientaliste avec le projet de marquer son embouchure sur l’Yonne par l’érection de 2 obélisques sur l’avant-port de La Roche.

 Extraits du rapport du représentant des Ponts et Chaussées (1808) :

« Malgré l’économie sévère qui doit être apportée à la confection des travaux du canal et qui exclut toute décoration, l’embouchure du côté de la capitale de l’Empire  d’un aussi grand ouvrage que le canal de Bourgogne pourrait souffrir une exception, et devrait être caractérisé par quelque décoration qui rappelât l’époque mémorable  de la reprise des travaux ; et c’est d’ailleurs conforme au vœu du département qui contribuant particulièrement à la dépense désire qu’il  soit élevé à l’embouchure du canal un monument à la gloire de Sa Majesté l’Empereur qui retrace en même temps la reconnaissance et l’admiration de ses habitants. Il présente le plan et l’élévation de deux obélisques susceptibles de recevoir les décorations et les inscriptions analogues à leur destination, qui seront arrêtées. »

Le projet est adopté par le conseil des Ponts et Chaussées du 16 mai 1808, mais l’exécution des obélisques est ajournée. En avril 1811, l’ingénieur Sutil revient à la charge. La naissance du roi de Rome lui parait être une bonne occasion enfin pour réaliser les obélisques. Il joint à son rapport un devis détaillé ; les deux monuments ne coûtent que 30 000 F tout compris. Le 29 mai, le conseil ordonne leur exécution à condition qu’ils soient augmentés de hauteur afin d’atteindre 20 mètres de haut, élévation leur permettant ainsi de dépasser les peupliers qui s’alignent derrière et qui ne mesurent que 15 à 16 mètres. Mais rien ne se fera. Un autre projet, composition sophistiquée d’allées plantées reliant la ville de Saint-Florentin au pont-canal sur l’Armance, connaitra le même sort. Le 15 mars 1833, l’ingénieur en chef Robillard dresse la liste des « terrains appartenant au canal de Bourgogne qu’il est convenable de remettre dans le commerce comme étant inutiles à son service ». Y figurent, celui de l’allée joignant la gare de La Roche à la route royale ainsi que les terrains destinés au projet monumental de 1808- 1811, et les allées rayonnantes de Saint-Florentin.

Extrait de « la longue durée du canal de Bourgogne » de Pierre Pinon

in  – Un canal, des canaux – Picard Editeur

 
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