Le Martinet noir, comme un poisson dans l’air 

Ces oiseaux semblent avoir fait un pacte faustien, défiant la gravité leur vie durant. Ils sont là dans le ciel des villes, petites faucilles moissonnant le ciel jour et nuit,  sans toucher terre. Cette espèce synanthrope ne laisse pas aisément deviner son mode de vie extravagant. Rares sont les humains qui ont vu autre chose que ces parenthèses filant à toute allure, organisant un ballet incessant et bruyant de trissements suraïgus, de poursuites affolantes, remontant les rues au raz des toits à plus de cent à l’heure.

Considérant l’avantage des corniches et des murs des cathédrales, ils ont, il y a bien longtemps abandonné les falaises, trop fréquentées, ils ont délaissé les hautes rives des fleuves encombrées et aujourd’hui, dans les clochers, sous les chenaux, ils ne font que passer quelques semaines et, quand le soleil descend vers l’équinoxe d’automne, ils ont déjà franchi la Méditerranée depuis un mois.

Il fut un temps où les populations d’insectes divaguant au-dessus des villes nourrissaient amplement ces insectivores stricts. Les martinets font partie des oiseaux peu nombreux qui exploitent toute la profondeur du ciel, depuis l’horizon parfait du canal où ils s’abreuvent dans une élégante acrobatie, ailes en v, bec creusant brièvement un sillon dans l’eau calme. Mais on peut les observer (par avion ou radar) à plus de 3000 mètres d’altitude d’où ils descendent en planant, en dormant, durant les nuits chaudes d’été. Les mâles particulièrement passent plus de 95% de leur temps en l’air. Seule la nidification les obligent à revenir sur terre.

C’est l’oiseau parfait d’un autre monde, pour nous terriens. Il exploite une autre dimension, dans l’épaisseur de l’air, le sifflement permanent du vent. Oiseau grégaire et bruyant dans les villes, il s’éloigne en journée pour se ravitailler en altitude, ou bien en rasant les pelouses calcaires, passant même sous les vaches, ressources bien connues en insectes divers.

Entendez le déplacement du Martinet dans l’air, quand il vous frôle sans crainte, avec ce souffle étrange, et voyez son oeil d’obsidienne satinée par le vent. Il faut aiguiser nos sens pour entrer dans sa vie, il faut oublier les trottoirs, nos misères et la boue qui nous collent aux basques, car lui connaît notre monde, en grand voyageur qui parcourt des milliers de kilomètres par an.

Le Martinet noir est bien présent dans le Tonnerrois, et nicheur à Tonnerre. Mœurs grégaires, migrateur (mai à septembre). Les sexes sont semblables. Se différencie facilement des hirondelles de fenêtres et rustiques avec lesquelles il se mêle souvent, par sa couleur, sa morphologie et sa taille supérieure (envergure :40 cm). Les populations des martinets ont diminué de près de 50% en 30 ans. En cause, l’effondrement des populations d’insectes dû à l’usage des pesticides et la modification des habitats (urbanisme/rénovation/isolation).

Ladislas de Monge

© Etienne Pelissier

Faire chanter le canal

 

 
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