L’éclusophone
À pratiquer à l’écluse d’Arcot à Tonnerre.
L’éclusophone est un instrument de musique bruitiste qui se joue seul ou à plusieurs. Il est situé à l’écluse d’Arcot, au bord du canal de Bourgogne. Manivelles, volants et leviers vous invitent à prendre le contrôle de cette mystérieuse boîte. Il attire l’œil des curieux et des curieuses, qui veulent comprendre ce qu’il se passe à l’intérieur.
Comme l’éclusophone est situé au bord d’une voie navigable et d’une promenade, il devient une activité ludique lors d’une pause, d’une escale. C’est pour cela que nous avons conçu un objet que l’on peut s’approprier à plusieurs pendant ce moment relativement court. Il est aussi une étape lors d’une visite, ou simplement une bonne raison d’aller se promener en fin de compte.
Inspiré par son environnement, son apparence rappelle l’écluse par les matériaux utilisés, le contraste des couleurs ainsi que la présence de manivelles. Le son de l’instrument est produit par des percussions et des frottements, actions que l’on retrouve aussi dans l’ouverture ou la fermeture d’une écluse. La musique qui jaillit de l’instrument est brute, industrielle, elle peut être modulée à l’aide d’une pale qui met l’eau en mouvement.
Thomas Allard, Paul Escande, François Kerforn, Antoine Lamaud, William Petitpierre, Mathieu Preux – Concepteurs
En volant, rampant, serpentant et creusant…
Nous ne pouvons pas parcourir le monde en quelques sauts, de même que l’itinérant n’est jamais tout à fait le même au départ et à l’arrivée (…). C’est précisément parce que le transport parfait est impossible – pare que tout voyage est un mouvement en temps réel – que les lieux ne sont pas seulement des lieux ; ils ont aussi des histoires (…).
Ce qui rend sans doute la situation des hommes dans les sociétés métropolitaines si difficile aujourd’hui, c’est d’être obligé d’habiter dans un environnement qui a été prévu et expressément construit pour les besoins de l’occupation. L’architecture et les espaces publics de l’environnement construit enferment et contiennent ; ses routes et ses voies rapides sont connectées. Les systèmes de transport d’aujourd’hui couvrent le globe en un vaste réseau de liaisons entre des destinations. Pour les passagers sanglés sur leur siège, le voyage n’est plus une expérience de mouvement où l’action et la perception sont intimement liées ; il est devenu une expérience d’immobilité forcée et de privation sensorielle. Le passager détache sa ceinture pour s’apercevoir que sa liberté de mouvement est en fin de compte circonscrite aux limites du site. Pourtant, les structures qui enserrent, canalisent et contiennent ne sont pas immuables. Elles sont continuellement sapées par les tactiques et les ruses des habitants (…).
En dehors des êtres humains qui respectent ou non les règles du jeu, il y a parmi les ces habitants un nombre incalculable de créatures non-humaines qui, elles, les ignorent totalement.
En volant, rampant, serpentant et creusant sous et sur l’infrastructure lisse et linéarisée du monde occupé, toutes sortes de créatures réintègrent et réagencent sans relâche ces fragments croulants pour les adapter à leurs modes de vie. La vie refuse d’être contenue. Elle se faufile un chemin dans le monde en suivant les innombrables lignes de ses relations. Que devient dans ce cas notre concept d’environnement ?
Littéralement, l’environnement est ce qui nous entoure. Mais pour les habitants, l’environnement ne se définit pas par les environs d’un espace délimité ; il est une zone où les différents chemins qu’ils empruntent sont entièrement enchevêtrés. Dans cette zone d’enchevêtrement – maillage de lignes entrelacées – il n’y a ni intérieur ni extérieur, seulement des ouvertures et des passages. En bref, l’écologie de la vie doit être une écologie de fils et traces, et non de ponts nodaux et de connecteurs (…).
Extrait de « une brève histoire des lignes » par Tim Ingold ; Editions Z/S
© Etienne Pelissier