La quête et l’intention
En enfourchant ma bécane dans l’air humide, au point du jour, je me dis comme souvent que la découverte est d’abord une intention. Et par expérience, le sujet de ma quête apparaît par des sentiers moins fréquentés, quand je n’attends plus, quand le crépuscule glisse entre le jour et la nuit, quand la route paraît se dissoudre dans la mer des blés.
L’ami, qui se cache à nos yeux inhabitués au défi, apparaît soudain dans la plaine assourdie, sur le miroir du canal, sur le sommet monstrueux des nuées.
Pour dire son existence, il faut nommer, reconnaître, épuiser son regard dans l’infini sans écran ni frontière, arracher sa vision au dogme de l’habitude, plonger dans l’attention seconde qui tressaille, sursaute aux photons singuliers sur une écorce vive, un regard qui picote dans notre nuque, un parfum singulier derrière un bruit poussiéreux, une pierre qui roule.
Avant l’art du guerrier qui exploite la totalité du réel, il faut être chasseur sans action, briser les habitudes, les routines alimentaires et affectives, s’extraire du monde social qui nous oblige.
Observer des Cincles plongeurs, des Petites Nymphes au corps de feu, des Ergates forgerons, des Tabacs d’Espagne, des Orchis boucs, des fractocumulus en ciel de traîne et des amas ouverts dans le ciel d’été exige une intention, mobilise une altérité oubliée dans les couloirs du métro, les openspaces des assureurs et les guichets fermés.
Si la concentration anthropique ampute nos sens, la fréquentation du réel réveille notre attention, le bruit de la lumière sur l’écluse, la lumière du vent dans les peupliers, ce n’est que notre lieu, habité par les vivants, sans écrans.
Le dualisme absolu de notre temps nous consume et nous fait la guerre absolument.
Vous voulez voir le sauvage, le bon sauvage, il est là, à notre porte. C’est un moineau saugrenu qui vole des miettes et quelques grains, c’est l’averse glaciale qui nous détrempe, c’est la lycose, l’araignée loup aux yeux multiples et iridescents qui galope dans la nuit sur nos gazons rasés.
Ce matin, je voulais voir le Busard Saint-Martin (*), hôte remarquable et rare des plaines versantes autour de l’Armançon.
Les champs étals se succèdent, quelques alouettes des champs effervescentes, des hirondelles rustiques qui ne s’éloignent guère des villages, un lièvre ahuri qui m’observe sans comprendre, un brocart posant beau dans une mer de colza.
La route est déserte comme le ciel froid, le printemps, presque silencieux.
Au détour d’un lacet caché par les hautes herbes, enfin apparaît le voltigeur argenté de mes nuits. Il est systématique dans sa quête, rien n’est dû au hasard, sinon la proie qui soudain se laisse emporter par la crainte. La peur ne sert pas l’échappée, c’est souvent la fin. Et l’assouvissement.
Ce matin, je voulais retrouver le Busard Saint-Martin.
Les Busards (St-Martin et cendré) sont bien présents dans le Tonnerrois. Oiseaux des steppes, chasseurs au sol, vol bas et acrobatique. Nichent au sol. Dimorphisme sexuel marqué : le mâle est très clair, presque blanc avec le bout des ailes noirs. Longue queue et croupion blanc. La femelle et les subadultes sont sombres, brun foncé à brun clair. La femelle est plus grande que le mâle (envergure moyenne : 120 cm). Le Busard Saint-Martin est résident permanent.
(*) L’usage de la majuscule pour les noms des espèces citées est délibérée, licence poétique, mais aussi antispéciste.
Ladislas de Monge
© Etienne Pelissier
Le chantier du canal de Bourgogne à Argentenay en 1792
Le creusement du canal de Bourgogne avait été décidé par le gouvernement royal le 7 septembre 1773 et confirmé le 24 juillet 1774. Ce projet visait à unir le bassin parisien au couloir rhodanien pour faciliter les échanges entre la Méditerranée et la Manche et développer le trafic régional vers Paris. Dès 1775, les travaux avaient été engagés dans la généralité de Paris, à partir de La Roche, au confluent de l’Yonne et de l’Armançon (…).
La crise économique de 1788-1789 a eu des effets sociaux, dont la multiplication des indigents, notamment à Paris. Des dispositions not donc été prises en décembre 1788 pour créer des ateliers de charité à Paris. Ils ont fonctionné en en 1789 et des ouvriers ont été envoyés pour participer aux travaux du canal de Bourgogne sous la responsabilité de la mairie de Paris. Dès l’hiver 1789-1790 (plus de 7OO sont entre Saint-Florentin et Tonnerre en janvier 1790. Cette main d’œuvre inexpérimentée et peu habitué à des travaux pénibles de terrassement en plein hiver a néanmoins permis l’avancement du chantier : en novembre 1790, plus de 600 ont rejoint le contingent précédent (…) .600, arrivés en juillet 1791, sont installés entre Tonnerre et Tanlay et 600 autres en novembre entre Tanlay et Vireaux. Cet afflux de main-d’œuvre explique la rapide progression des terrassements qui commencent parfois avant même que les arpentages nécessaires au calcul des indemnités n’aient été faits.
Les années 1792 et 1793 ont été sous le signe de la guerre et de ses besoins en hommes et en argent : des ouvriers se sont engagés dans l’armée en mars-avril 1792 et d’autres ont été rappelés à Paris fin septembre (…).
Les districts de Saint -Florentin et de Tonnerre devaient organiser chaque quinzaine la paye du dimanche avec le trésorier de l’administration du canal. Cette opération a été la cause de nombreux problèmes du fait des retards, des contestations des travaux effectués, des retenues à faire pour régler les logeurs et les boulangers et de l’introduction des assignats mal acceptés par la population locale. Tout retard ou toute amputation du paiement avait des répercussions immédiates sur les conditions de vie des ouvriers qui pouvaient se voir refuser la nourriture ou le logement. Cela a provoqué des affrontements et même des manifestations dans la ville de Tonnerre, notamment en septembre 1791. Le département a été amené à garantir la sécurité le long du chantier en faisant appel à l’armée avec l’accord du ministère de la guerre (…).
En période hivernale, les journées de pluie continuelle et de neige avec les débordements des rivières provoquaient l’interruption des travaux : les ouvriers qui travaillaient à la tâche n’avaient donc plus de revenu, ce qui les gênaient pour payer leur logement, leur nourriture et le bois pour se chauffer. C’est ainsi qu’un huissier a été amené à constater les vols de bûches entreposées à Argentenay sur les rives de l’Armançon : cela représentait, le 17 février 1792, plus de 30% des bûches empilées et recensées le 26 novembre 1791(…).
La guerre de 1792 a mis fin aux travaux, en laissant en 1793 Argentenay avec son chantier sans travaux d’art ni plantations : il faudra 14 ans pour que le projet reprenne vie et plus de 30 ans pour que le canal soit utilisable.
Extraits de l’article de Raymond et Françoise Roffin, paru dans le bulletin de la société d’archéologie et d’histoire du Tonnerrois.